Voir aussi Grand incendie de Trois-Rivières - 1908: son origine / la course du feu / bilan / mesures d'urgence
L'ampleur de la dévastation est telle que le découragement a dû gagner plus d'un Trifluvien qui a beaucoup, sinon tout perdu dans le sinistre. Parmi eux se comptent bon nombre de propriétaires qui sont peu ou pas du tout assurés contre le feu. Un journaliste de La Patrie écrivait le 23 juin:
"Les propriétaires ruinés sont désespérés. On voit des hommes d'affaires qui
n'avaient assuré leurs biens que pour le tiers de leur valeur, vous répondre (avec)
les larmes aux yeux, ne pouvant retenir leur émotion".
C'est le cas du propriétaire de l'hôtel Saint-Louis sur la rue des Forges: ses pertes s'élèvent à près de 55 000 $ alors que ses assurances ont une maigre valeur de 14 000 $.
De son côté, la municipalité a un rôle de premier plan à jouer. Elle commence par répondre aux besoins les plus urgents par des mesures ponctuelles. Il lui revient maintenant de garantir l'avenir par la planification de la reconstruction de la ville. Le maire lance un défi:
"La ville sera entièrement relevée de ses cendres et reconstruite d'ici deux ans.
Ce sera alors une ville plus considérable et beaucoup plus belle que celle qui vient
d'être si sérieusement ravagée par les flammes (…). Là où de vieux édifices ont été
détruits s'élèveront de nouvelles constructions édifiées d'après les plans les plus
modernes. Le désastre a été un dur coup pour nous, mais ce sera peut-être finalement
un bien pour la ville. Nous essaierons maintenant de faire de Trois-Rivières une cité
moderne ",
peut-on lire dans L'Écho des Bois-Francs, du 4 juillet. Vision optimiste dont on peut voir si elle se concrétisera.
Dans le passé, des citoyens n'avaient pas manqué de souligner les multiples inconvénients, de toutes sortes d'ailleurs, qu'ils rencontraient dans la ville. Maintes fois, ils se sont plaints de l'étroitesse des rues, du Platon et Notre-Dame plus particulièrement. De son côté, la Compagnie de navigation Richelieu et Ontario demande à la Ville de niveler la rue du Platon car la pente que l'on trouve à cet endroit " constitue un obstacle considérable au charroyage (sic) des marchandises ". La requête est bientôt appuyée par les commerçants de cette rue.
Les réactions de la mairie ne se font pas attendre. Dès le 30 juillet 1908, l'ingénieur de la Ville fait publier dans Le Nouveau Trois-Rivières la liste des parties de lots expropriées pour permettre l'élargissement des rues. Les superficies expropriées totalisent 32 889 pieds. Les rues Notre-Dame, du Platon et des Forges seront élargies à 66 pieds, les rues Badeaux, Hart et Alexandre - ce qui ne fait pas l'affaire de ses résidents qui, font-ils valoir, " n'est pas une rue commerciale, ni destinée à le devenir " - à 50 pieds, afin de répondre aux besoins d'une vie urbaine plus intense. Les trottoirs de bois seront remplacés par des trottoirs en ciment.
Le nouveau tracé des rues arrêté, la Ville de Trois-Rivières peut alors accorder des permis de construction. Préalablement, elle apporte de nombreux changements à ses règlements: types de matériaux, nombre d'étages, drainage, etc. Le procès-verbal d'une assemblée des citoyens de Trois-Rivières du mercredi 5 août fournit les précisions: les bâtisses
" devront être construites en pierre, en brique, en béton ou lambrissées de ces
matériaux, être à toit plat, égouttant à l'intérieur ou à l'arrière des dites bâtisses
et les couvertures devront être en matériaux non combustibles et à l'épreuve du feu ".
De plus, les édifices commerciaux seront séparés les uns des autres par des murs de pierre ou de brique; un gabarit architectural est imposé.
Les normes et les règlements adoptés, qu'en est-il maintenant du rythme de la reconstruction ? Peu d'édifices sont reconstruits en 1908: un à l'angle des rues du Platon et Craig pour loger le magasin de chaussures de Louis O. Dassylva (occupé présentement par la boutique Top Mode), un autre sur la rue Notre-Dame (Le Colimaçon), un autre encore sur la rue Saint-Antoine (restaurant Le Saint-Antoine).
À la fin de l'année noire, la Ville de Trois-Rivières projette d'ouvrir un marché public, beaucoup plus au nord, dans le quartier Notre-Dame, suivant en cela la recommandation de l'ingénieur de la Ville, John Bourgeois. Dans une lettre qu'il adressait au Conseil municipal, le 26 juin, il écrivait: " Je considère que le marché aux denrées doit disparaître pour faire place à des établissements de commerce. Pourquoi, en effet, un marché dans le centre des affaires (…) ? Nous avons là un terrain (qui) constituera une propriété de grande valeur (…). Et si l'on tient absolument à cette anomalie qu'est un marché dans une ville comme Trois-Rivières, qu'on le relègue dans un autre quartier… ". Deux sites sont proposés: l'un à l'angle des rues Champflour et Saint-Prosper; l'autre sur la rue Saint-Maurice, entre les rues Sainte-Julie et Nérée-Duplessis. Mais le projet n'a pas de suite. En dépit de la position de Bourgeois, le nouveau marché aux denrées, est construit sur le même emplacement qu'auparavant, rue des Forges.
La fièvre de la reconstruction sera grande au cours des deux années suivantes. Rien de moins étonnant si on considère que l'Assemblée législative du Québec adopte une loi qui autorise la Ville de Trois-Rivières à emprunter un demi-million de dollars qu'elle pourra prêter aux victimes de la conflagration pour la reconstruction. Un règlement du Conseil stipule que les emprunteurs " devront commencer leurs constructions dans le cours de l'année 1909 et avoir terminé le 1er mai 1910 ".
Les effets de ces décisions se font vite sentir. Ainsi, en 1909, Arthur-Jean-Baptiste Robert, de Berthier, avec l'aide de son beau-frère, le projectionniste ambulant Hilaire Lacouture, de Sorel, ouvre la salle de théâtre Bijou sur la rue des Forges; cette salle deviendra la première véritable salle commerciale de théâtre et de cinéma à Trois-Rivières. Quatre ans plus tard, en 1913, Robert fera construire une nouvelle salle sur la rue des Forges, face à la rue Hart: le théâtre Gaieté. D'autres salles de cinéma muet ouvrent bientôt leurs portes, dont Le Casino sur la rue du Platon, en 1910. La même année, J.-A. Tessier, futur maire de Trois-Rivières, reconstruit l'hôtel Frontenac à l'angle des rues des Forges et Champlain. Tout près, un nouvel hôtel Dufresne, propriété de J.-Arthur Dufresne, est ouvert sur la rue des Forges, entre les rues Champlain et Royale.
Certes, le maire de Trois-Rivières s'est trompé, mais de peu, compte tenu de la taille de l'entreprise, car en 1912, soit à peine quatre ans après la grande conflagration, le centre-ville de Trois-Rivières est à nouveau animé. Ainsi rebâti dans un court laps de temps et par un nombre très restreint d'architectes et d'entrepreneurs, le quartier présentera une grande homogénéité architecturale:
" Des rangées continues de bâtiments de trois ou quatre étages, construits en
brique, coiffés d'un toit plat, décorés de linteaux de fenêtres, de corniches et
d'encoignures témoignent de la popularité de l'éclectisme victorien à cette époque"
(Commission des biens culturels du Québec, Étude de caractérisation de l'arrondissement
historique de Trois-Rivières, 2005).
Donc, au mois de juin 1913, le chantier du centre-ville n'est pas tout à fait complété car il subsiste des emplacements encore déserts, notamment celui où sera construit le bureau de poste, en 1918. Néanmoins, de façon symbolique, on désire mettre un point final à ce triste chapitre du feu de 1908 par l'inauguration du monument du Sacré-Cœur, sis à l'angle des rues Notre-Dame et Bonaventure, sur l'emplacement de l'ancienne église paroissiale de l'Immaculée-Conception.
Enfin, un autre effet du grand incendie est son rôle de premier plan dans l'expansion du tissu urbain vers l'ouest et vers le nord de la ville. Dès le 26 juin, il est décidé de ne pas reconstruire l'église paroissiale Immaculée-Conception; on choisit plutôt d'en bâtir une dans le quartier Saint-Philippe désormais érigé en paroisse. Il est vrai que déjà au début du XXe siècle, le quadrilatère formé des rues du Fleuve, Saint-Georges, Royale et Gervais était parsemé de petites manufactures et d'ateliers auxquels se mêlaient les résidences. Aussi, le projet de fondation d'une nouvelle paroisse dans le quartier Saint-Philippe faisait-il déjà son chemin depuis quelque temps.